"Personne ne le connaissait vraiment. Personne !", s’exclame Mira au sujet de Gandhi, à la fin du récit de Sudhir Kakar… Exceptée peut-être elle-même, cette Anglaise résolument excentrique qui fut l’une des plus ferventes disciples du Mahatma. Voici donc, en premier lieu, un livre incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à la personnalité complexe et passionnante de celui que les Indiens appelaient la "Grande Âme"...

Psychanalyste et écrivain de renommée internationale (1), Sudhir Kakar nous livre ici, sous une forme romancé, un récit fort documenté qui couvre plusieurs périodes importantes de la vie du grand artisan de l’Indépendance de l’Inde. Au travers du parcours de Mira, nous rencontrons d’abord Gandhi en 1925 à l’ashram de la Sabarmati (Gujarat), puis nous le suivons pas à pas durant la célèbre marche du sel, en 1930, pour finalement le quitter à l’ashram de Sevagram, en 1942. Au fil du temps, le Mahatma mène de front simultanément plusieurs combats : moral et spirituel, social et bien sûr politique. La lutte politique pour l’indépendance n’apparaît cependant qu’en filigrane dans le récit de Sudhir Kakar, et c’est là tout l’intérêt de cet ouvrage qui offre, avec talent, une vision intimiste de ce grand personnage de l’Histoire.

Extraites de lettres ou de journaux, les petites anecdotes du quotidien, les réactions et les impressions brossent peu à peu un portrait intérieur de chacun des protagonistes. Le leader politique s’efface pour laisser la place à l’homme. La figure charismatique, l’apôtre de la non-violence, le guide spirituel se fait humain, trop humain, avec ses doutes et ses colères, ses manies et ses lubies. Pour autant, Sudhir Kakar ne cherche pas à démystifier le Mahatma, on pourrait même au contraire y voir une manière d’hommage. En effet, Gandhi n’aurait sans doute pas renié ce récit, tant ses "expériences de vérité" lui tenaient à cœur. (2) 

Le deuxième personnage du roman, Madeline Slade alias Mira, apparaît doté d’un caractère tout aussi original – ou excessif, selon les goûts - que celui à qui elle voue sa vie.  Anglaise issue de la grande bourgeoisie, elle a tout quitté pour rejoindre le Mahatma. A son arrivée à l’ashram, Gandhi la rebaptise du nom d’une grande poétesse mystique du XVIème siècle. Son intuition se révèlera fort juste, il ne pouvait faire meilleur choix. Des années durant, le culte que lui rendra Mira sera total, sollicitant autant l’âme que le corps, à l’image de la dévotion éperdue (bhakti) que la poétesse vouait en son temps au seigneur Krishna. Le parcours de Mira, tout autant que sa personnalité, ne peut laisser indifférent le lecteur occidental. Les fervents admirateurs de Gandhi mais aussi, plus largement, tous les "fous de l’Inde", selon la formule du psychiatre Régis Airault (3), pourront se reconnaître dans l’une ou l’autre des facettes de son cheminement : l’exaltation de la découverte, la fulgurance de l’adhésion, le désir d’immersion, la recherche intérieure, sans oublier les doutes et les épreuves, feront écho chez ceux pour qui l’Inde fut une révélation profonde. Au-delà de l’intensité extrême de sa relation avec le Mahatma, ce sont aussi les difficultés de Madeline Slade à vivre son "fantasme" indien, emprunt d’une quête d’absolu propre au malaise occidental, que Sudhir Kakar nous donnent à voir… et à essayer de comprendre. Voici pourquoi, très vite, il apparaît que ce livre dépasse largement le cercle des "fans" de Gandhi. Il s’adresse à tous ceux qui nourrissent une relation forte, ou plutôt devrait-on dire ici pour reprendre les termes de la psychanalyse, une  relation existentielle avec l’Inde.

Titre : Mira et le Mahatma
Traduction de l'Anglais : Bernard Turle
Auteur : Sudhir Kakar
Date de Parution : 2006
Éditeur : Le Seuil
ISBN : 2-02-068187.0
Pagination : 300 pages
Format : 140x216
Prix : 22€ (20.90€ chez notre partenaire amazon.fr)

(1)  Cf. parmi les publications les plus récentes de Sudhir Kakar : "L’ascète du désir" (Seuil, 2001) et "Au nom de l’extase" (Seuil, 2005).
(2)  Cf. : Gandhi, M. K., "Autobiographie ou mes expériences de vérité", PUF, 1950.
(3)  Cf. : Airault, Régis, "Fous de l’Inde. Délires d’Occidentaux et sentiment océanique", Payot, 2002.