Chetan Bhagat, l'un des plus impressionnants phénomènes littéraires de l'Inde moderne, est devenu en quatre romans, dont trois font déjà l'objet d'adaptations cinématographiques (3 Idiots, Hello), le porte-parole de la nouvelle génération. Vendus à plusieurs millions d'exemplaires en Inde et à l'étranger, ses romans abordent toutes les difficultés d'une jeunesse confrontée à une crise d'identité entre un monde globalisé et une société indienne très traditionnelle. Chetan Bhagat était à Paris pour le lancement du livre Les 3 Erreurs de ma vie édité par Le Cherche Midi dans le cadre de sa collection Domaine Indien. Chetan Bhagat est aujourd'hui l'auteur en langue anglaise le plus vendu en Inde de toute l'histoire et nous l'avons rencontré pour vous...
Bonjour Chetan et merci de prendre le temps de vous adresser aux lecteurs d'indeaparis.com,
Commençons par la question que tout le monde a dû vous poser : "mais pourquoi donc commencer tous les titres de vos romans par un nombre ?"°
Oui c'est normal, ayant fait des études d'ingénieurs et ayant été banquier, je suis habitué aux nombres et je reste très attaché à eux. Maintenant que je ne joue plus qu'avec les mots, je leur trouve une place de choix dans mes titres. Je crois surtout que c'est plus facile à retenir et que cela permet de situer chaque roman dans une chronologie.
Alors vous allez continuer comme ça avec les suivants ?
Je ne sais pas. Je vais essayer.
Certains auteurs écrivent des centaines de romans. Pensez-vous aller jusque là ?
Je ne crois pas que j'écrirai des centaines de livres. C'est trop dur et j'ai trop d'activités annexes comme mes chroniques dans la presse°°, conférences, scénarios, mes enfants, alors ce ne sera pas possible.
Chetan Bhagat présente son livre Les 3 Erreurs de ma vie
Vous avez longtemps cumulé votre emploi de banquier avec votre carrière littéraire est-ce toujours le cas ?
Non j'ai arrêté. Je n'ai plus le temps.
Combien de temps vous faut-il pour faire un roman ?
En moyenne deux ans. Le processus est très long et difficile. J'ai des centaines d'idées et j'en rejette la plus grande quantité pour ne, finalement, garder que celles qui vont plaire à mes lecteurs.
Comment savez-vous qu'elles vont accrocher ?
Je le sens. Si cela me convient alors cela va plaire à mes lecteurs. Je le sais d'instinct. Il m'arrive de temps à autre de demander des avis à mon entourage mais globalement je sais quand l'idée est bonne. Le plus dur, aujourd'hui, est d'avoir une bonne idée de livre. C'est la partie la plus complexe du processus et c'est, je crois, la même chose dans le cinéma.
C'est vrai qu'avec trois films tirés de vos ouvrages, c'est un milieu dont vous faites partie. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Oui Bollywood est la plate-forme idéale pour me faire connaître par le public indien mais ce n'est pas mon milieu. Je viens de la Finance et de l'Industrie. J'y suis rentré grâce aux circonstances mais je dois tout apprendre dans ce domaine. D'une certaine façon j'ai beaucoup de chance. Beaucoup de gens rêveraient de faire partie de Bollywood et n'y arrive jamais, j'en suis conscient.
Chetan Bhagat : l'icône des jeunes Chetan Bhagat est l'auteur de quatre romans qui ont connu un énorme succès en Inde et dans de nombreux autres pays : Five Point Someone (Rupa, 2004), Une nuit @thecallcenter (Stock, 2007) et Les 3 Erreurs de ma vie. Son dernier roman 2 States, the Story of my Marriage vient de sortir en Inde avec un premier tirage de plus de 200.000 exemplaires. Ses trois premiers romans sont toujours sur les listes des best-sellers. Une nuit @thecallcenter a été adapté au cinéma et est sorti en Inde sous le titre Hello en 2008. Le film a connu lui aussi un grand succès. Les droits cinématographiques des 3 Erreurs de ma vie ont également été achetés et Abhishek Kapoor (Rock On!!) réalisera cette adaptation.Chetan écrit également des chroniques dans plusieurs journaux anglais et hindi. Dans ses billets, il s'intéresse à la jeunesse indienne et au développement de son pays. Certains de ses articles ont même fait l'objet de débats au sein du parlement indien et de la classe dirigeante. Chetan Bhagat a quitté sa carrière dans la finance en 2009 pour se consacrer à plein temps à l'écriture et aux causes qui lui tiennent à cœur pour faire évoluer son pays. Originaire de Delhi, il vit maintenant à Mumbai avec sa femme Anusha et leurs deux garçons. |
Oui c'est certainement une chance de pouvoir entrer par la grande porte comme ce fut le cas pour vous.
Oui, c'est sûr, mais pour être franc c'est normal. Bollywood a besoin d'histoires à raconter et c'est exactement ce que je fais. Ce qui manque surtout ce sont les bonnes idées et lorsque Bollywood trouve quelqu'un qui en a, et surtout qui en a déjà fait quatre succès de librairie, alors elle lui saute dessus !
Maintenant que vous travaillez avec Bollywood, pensez-vous en faire le sujet d'un de vos prochains romans ?
Non, ce n'est pas ce qui m'intéresse et d'autres, comme Shobhaa Dé°°°, le font très bien. Je n'aime pas Bollywood à ce point. C'est juste un moyen d'atteindre le public le plus large possible parce que les gens aiment Bollywood. Bollywood ne me donnera pas la gloire. J'utilise Bollywood mais je ne veux pas que ce soit le contraire. Il faut être prudent avec Bollywood parce que vous risquez vite d'être manipulé.
Et avez-vous ressenti de l'excitation à faire partie de cet univers ?
Oui mais après un mois j'en suis revenu.
Quels sont finalement vos sujets favoris ?
Politique, la jeunesse indienne et l'Inde contemporaine mais principalement la jeunesse indienne.
Les 3 Erreurs de ma vie par Chetan Bhagat, un livre déjà vendu à plus d'1 million d'exemplaires en Inde
Dans quelle tranche d'âge ?
15 à 25 ans principalement. C'est le futur de l'Inde et c'est surtout la catégorie dans laquelle je me situe. En fait, c'est le public qui m'a fait et j'en fais partie. C'est grâce à cette catégorie que je suis devenu ce que je suis. Si je ne l'avais pas écouté je n'aurais pas eu ce succès.
Quels sont les sujets dont vous lui parlez ?
Amour, amitiés, frustration, Inde, éducation, tous les sujets qui préoccupent les jeunes.
Est-ce que vous en profitez pour faire passer vos convictions ?
Oui évidemment. Pas directement, mais plutôt à travers certains personnages qui expriment ce que je pense vraiment sur la politique, les politiciens, la globalisation, le fait que ce soit les seniors qui tiennent tout en Inde et qu'ils soient rétifs au changement. Tout cela constitue une trame pour construire de bonnes histoires.
Pensez-vous que vous pourriez finir par faire de la politique ?
Je ne suis pas certain que je pourrais rejoindre un parti et faire de la politique politicienne mais j'ai déjà une grande influence dans mon pays. Je connais les hommes politiques et ils me connaissent. Ils lisent mes livres, mes articles, et ils m'écoutent. Ils savent que j'ai l'oreille des jeunes et ça les intéresse de savoir ce qu'ils pensent. Pour moi c'est donc suffisant d'avoir une influence plutôt qu'une autorité quelconque.
Avez-vous le sentiment d'avoir provoqué des décisions concrètes à la suite de vos avis ?
Oui, dans le domaine de l'éducation et des universités c'est indéniable. J'ai donné de nombreux avis qui ont été pris en compte dans toute une série de mesures récentes pour le développement de l'éducation en Inde. J'ai recommandé l'augmentation du nombre d'universités et le financement de celles-ci par les États (l'Inde est divisées en États, équivalents juridique de nos régions en France NDLR). L'ouverture aux universités étrangères fait justement partie de ce train de mesures. Je suis content d'avoir eu une telle influence ces cinq dernières années. Bon et finalement si je dois rentrer en politique ce sera dans quelques années. Pas pour le moment parce que je suis satisfait par mes activités actuelles. La politique en Inde est très dure. Les coups bas pleuvent. Je pourrais être touché et même devenir méchant à mon tour [rire]. C'est un monde ou la corruption et l'instinct de puissance sont légions et où, finalement, on fait tout pour vous empêcher d'agir. Je ne voudrais pas décevoir ceux qui attendent beaucoup de moi.
Vous avez passé treize ans dans l'Army Public School (primaire et secondaire), qu'en avez-vous retiré ?
C'était très intéressant parce que très cosmopolite et très diversifié. En fait nous n'avions pas un enseignement militaire. Cette école porte ce nom parce qu'elle est réservée aux enfants de militaires, plutôt classe moyenne en fait, mais l'enseignement y est traditionnel. J'y ai appris beaucoup. Le patriotisme y est peut-être plus fort qu'ailleurs et c'est vrai que la plupart de ceux qui y ont fait leur scolarité ont ensuite rejoint l'armée mais ce n'est pas du fait des cours qui y étaient dispensés.
Un jour vous avez déclaré que les critiques vous détestaient. Est-ce que c'est toujours le cas ?
Je ne l'ai pas dit aussi abruptement mais c'est vrai que la plupart d'entre eux ne m'aiment pas. Il trouve mon style trop simple, pas assez littéraire . Mais pour moi, l'important est que ce soit populaire. Pour toucher le plus grand nombre je dois rester simple et non chercher à plaire aux critiques littéraires. Nos objectifs sont différents. Moi je veux être un auteur populaire et ce sont ceux là que la critique n'aime pas. Il y a d'autres exemples connus comme Dan Brown. C'est la même chose dans tous les milieux. En musique aussi. C'est un phénomène contre lequel on ne peut pas faire grand-chose.
Vous parlez principalement des problèmes de la jeunesse indienne et plus particulièrement de la classe moyenne émergente, à quoi attribuez-vous l'intérêt pour vos livres à l'étranger ?
Je dois dire qu'ils ne sont pas aussi populaires à l'étranger qu'ils le sont en Inde mais les gens s'intéressent de plus en plus à ce qui se passe dans mon pays et puis de nombreux expatriés indiens (NRI) aiment ce que j'écris.
C'est votre premier roman au Cherche Midi, pensez-vous que ce soit un défi pour cet éditeur ?
Oui bien sûr, pour lui et pour moi aussi. Ce n'est pas évident de publier en français un auteur indien dont les livres sont en anglais. Je n'ai aucune idée du type d'accueil que je vais rencontrer en France. C'est là qu'est le défi.
Jean-Claude Perrier auteur et directeur de la collection "Domaine Indien" au Cherche Midi, Chetan Bhagat et Philippe Héraclès directeur du Cherche Midi
Quelle est pour vous la pire chose qui soit en Inde actuellement ?
Je pense que c'est le manque d'unité du pays. Tout est prétexte à division : caste, religion, classe sociale, âge, c'est très dommage. Les politiciens divisent le peuple à dessein et le peuple se laisse diviser. Nous devrions refuser cela et travailler tous ensemble, malgré nos différences, dans l'intérêt du pays.
Pas simple dans un pays de plus d'un milliard d'âmes !
Oui mais je ne demande pas que les gens s'aiment mais simplement qu'ils cohabitent en bonne intelligence et qu'ils vivent en paix pour l'intérêt de tous.
Merci Chetan pour le temps que vous nous avez accordé. Nous vous retrouverons avec plaisir lors d'une prochaine visite en France. Selon nos sources, cela devrait arriver très vite...
° Les quatre ouvrages de Chetan Bhagat sont
Five Point Someone - What not to do at IIT (2004)
One Night @ the Call Center (2005)
The Three Mistakes of My Life (2008)
2 States - The Story Of My Marriage (2009)
°° Chetan écrit très régulièrement dans Dainik Bhaskar (quotidien en Hindi), The Hindustan Times (quotidien en anglais)
°°° Shobhaa Dé qui vient justement de publier La Nuit aux étoiles, une roman sur les coulisses de Bollywood.