Entretien avec Pan Nalin
Propos recueillis par Anne Magidson, critique cinématographique new-yorkaise, historienne et auteur.
AM : Comment le film est-il né ?
PN : J’ai toujours eu envie de raconter une histoire d’amour exceptionnelle. Je travaillais sur quelques idées lorsque j’ai découvert par hasard le livre d’Alexandra David Neel, "Magie d’amour et Magie noire". Ce livre m’a énormément inspiré et La vallée des fleurs a commencé à prendre forme dans mon coeur, puis sur le papier.
AM : Peut-on dire que cette histoire est un peu celle de Roméo et Juliette dans l’Himalaya, dans un contexte bouddhiste ?
PN : Les amants de La vallée des fleurs sont uniques. Je voulais explorer ce qui se passerait si une histoire dans l’esprit de celle de Roméo et Juliette se déroulait en Inde ou en Asie. Rien ne serait alors pareil, ni leur rencontre, ni l’éclosion de leur amour, ni la vie, ni la mort… La raison pour laquelle personne n’avait encore jamais essayé m’est apparue clairement quand j’ai commencé à travailler dessus : c’est un chemin extrêmement ardu si l’on veut faire preuve d’originalité. Et c’est très difficile de positionner un film comme n’appartenant à aucun genre donné. C’est une expérience. Je me suis toujours dit "Il y a déjà des centaines de milliers de films dans notre monde, pourquoi en ajouter un de plus, s’il n’est pas exceptionnel?", pour moi, La vallée des fleurs relève le défi . Le film unit époque ancienne et nouvelle…
Tarkovski l’a dit : "Faire du cinéma, c’est sculpter le temps." J’aime travailler et retravailler le temps. Le temps est le plus fascinant des éléments, il gouverne toute notre existence, mais comment recréer toute une vie dans l’espace d’un film ? C’est pour cela que je voulais que les amants de La vallée des fleurs vivent à travers les siècles, jusqu’au moment où l’on réalise que les amants ne sont pas éternels, mais que l’amour, si.
AM : Avec Samsara, vous avez réinventé toute la structure et le style cinématiques à travers une construction hypnotique du son et une "construction de l’image inconsciente" pour l’esprit. Pourquoi une telle volonté d’être différent, original ?
PN : Je cherche encore ma voix cinématographique. Je désire rester libre d’aborder tous les genres de films et tous les genres d’histoires. Mon énergie et mon excitation proviennent de l’inconnu et de l’inexploré.
La vallée des fleurs a des personnages différents, un autre ton, une autre atmosphère. J’ai évité délibérément des choses comme "il faut aimer le héros", "il doit surmonter les obstacles", et autres. J’ai au contraire essayé de retrouver l’atmosphère authentique de la route de la soie à l’époque. Que se passe-t-il quand un démon et un humain tombent amoureux l’un de l’autre ? Qui est en danger, l’humain ou le démon ? Ni l’un ni l’autre, mais la Nature, elle, l’est… C’est l’équilibre de Mère Nature qui est menacé. Et donc, le yéti se manifeste pour protéger la nature et
restaurer l’équilibre.
AM : Comment avez-vous conçu l’impressionnante scène du voyage dans le temps à pied ?
PN : Le pouvoir du montage est fascinant. C’est le montage qui fait exister un film. Dans la séquence de "la marche dans le temps", je ne voulais utiliser ni effets visuels numériques ni images de synthèse, je voulais travailler sur le son et l’articulation des images. La scène de la marche dans le temps a été tournée sur plusieurs semaines dans plusieurs lieux différents en Inde, au Japon et en Allemagne. Durant le tournage, c’était une scène qui apparaissait presque tous les jours sur notre feuille de service. Par la suite, il a fallu plusieurs semaines de travail sur le son pour évoquer différentes époques s’étendant sur deux siècles. Pour résumer, nous avons décidé d’avancer de dix ans en dix ans à chaque coupe, chaque plan, pour couvrir la durée de deux siècles.
AM : Parlez-nous de votre exceptionnel casting.
PN : Nous avons effectué le casting dans différents pays, et j’ai finalement trouvé l’acteur indien Milind Soman pour jouer Jalan. Après avoir auditionné quelque 400 actrices, j’ai découvert l’actrice franco chinoise Mylène Jampanoi pour jouer Ushna pour la partie indienne et une actrice japonaise, Eri, pour jouer la Ushna contemporaine à Tokyo. Et c’est la grande star indienne Naseeruddin Shah qui joue le Yéti. J’avais aussi des acteurs non professionnels, et des nomades et des gitans pour jouer les bandits, ainsi que des acteurs tibétains pour certains seconds rôles. Le casting le plus étonnant est celui de Sadhus et Aghoris qui sont effectivement des ascètes himalayens.
Au Japon, j’ai eu la chance d’avoir certains des acteurs les plus réputés du cinéma et du théâtre. Ils ont aimé le script et ils voulaient jouer dans ce film, même pour de petits rôles.
AM : Vous possédez le talent de faire des films originaux, dans un style original, avec des histoires originales… Ne craignez-vous pas d’échouer ?
PN : Quand j’ai quitté mon village en Inde il y a très longtemps, je n’avais rien. Aujourd’hui, je n’ai plus peur, parce que je n’ai rien à perdre. Je peux facilement me détacher de mes films. Je suis un honnête conteur d’histoires, mon seul confort consiste à faire des films avec amour et passion. Je ne crois pas aux canons préconçus du cinéma "artistique" ou "commercial", je crois qu’il y a des films que l’on aime et d’autres que l’on n’aime pas. C’est aussi simple que ça.