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Catégorie : Informations

Rubrique information sur l'IndeLe 20 mai 2003, à l’issue de la conférence que j’ai prononcée à Cély en Bière (Seine et Marne) devant des jeunes de l’aumônerie du collège, un auditeur s’est présenté à moi et a évoqué l’histoire rocambolesque d’une colonie indienne d'une soixantaine de personnes (hommes, femmes, enfants) originaires de Pondichéry, installée dans le petit village de Thieux, près de Dammartin-en-Goële, de 1785 à 1787...

Dès 2004, des recherches ont été entreprises pour en savoir plus. Le 12 novembre 2004, au cours de l’exposition que nous avions organisée à la Mairie du Bourget sur "Les Troupes Indiennes en France : 1914-1918", un visiteur, habitant près de Roissy en Brie, a évoqué à son tour l’histoire des tisserands indiens de Thieux. Des recherches effectuées depuis, auprès de différents centres d’archives ont permis de retrouver des documents très intéressants sur ce dossier. En 2007, les recherches que nous avons effectuées dans les archives de Thieux avec le Maire de la commune et le président de la société d’Histoire et d’Archéologie de la Goële, ont permis de trouver la trace de 2 pièces remarquables : un baptême et un décès. Il faut noter qu’à l’époque, les registres étaient tenus par les paroisses. Ces tisserands indiens sont restés 2 ans à Thieux et le quittèrent le 1er septembre 1787 pour l’Inde. On a même retrouvé les écrits d’un chroniqueur tamoul qui évoque le séjour de ces tisserands en France après leur retour à Pondichéry. L’ensemble de ce dossier sera publié par l’association Les Comptoirs de l’Inde en 2009. Mais voici pour les lecteurs d'indeaparis.com les grandes lignes de l’histoire des tisserands indiens de Thieux.

Une vieille filature

En venant de Thieux pour se rendre au Mesnil-Amelot par le chemin de Compans (D83), il existait au lieu-dit La Ferme de Stains, une croix avec une inscription "Croix érigée en mémoire des Indiens résidant à Thieux en 178...(5)". Cette croix, appelée "croix noire" ou "croix des Indiens" figurait sur les premières cartes de l’Etat-Major.

Pourquoi des Indiens à Thieux ?

Pierre-André de Suffren de Saint-Tropez L’homme qui est à l’origine de cette aventure est le vice-amiral de France, Bailli de l’Ordre de Malte, Pierre-André de Suffren de Saint-Tropez qui s’est illustré en Inde, dans le golfe du Bengale contre les Anglais et les Hollandais (une rue de Pondichéry porte son nom). Surnommé par les Indiens l’Amiral Satan, Suffren quitte Pondichéry pour la France, le 25 septembre 1783 et emporte avec lui une soixantaine d’Indiens, hommes, femmes et enfants, fileuses et tisserands. Son intention initiale est de les établir à Malte afin de perfectionner l’industrie du coton. Suffren débarque à Toulon le 26 mars 1784, mais laisse les Indiens à Malte. Le résultat de leur production textile n’étant pas satisfaisant, le Bailli, dans un mémoire adressé au Roi, lui propose d’employer ces Indiens à la fabrication de la mousseline et d’autres étoffes afin d’atteindre la perfection des procédés de l’Inde.

Le 8 mai 1785, le Roi décide, après l’avis de Monsieur de Calonne, contrôleur Général des Finances, de ramener ces Indiens aux environs de Paris. Vers le 3 août 1785, les Indiens débarquent à Marseille et doivent s’installer au Château de Meudon. Leur passage est signalé à Lyon le 28 septembre 1785. Du fait des inconvénients rencontrés dans leur installation, le projet du château de Meudon est abandonné. C’est alors qu’intervient Jean-Jacques Maurille-Michau de Montaran, un des 4 intendants du Commerce du Royaume, qui est séduit par cette colonie de Tisserands Indiens. L’Abbaye de Saussaye, qui avait été retenue par Monsieur de Calonne était en très mauvais état et devait faire l’objet de travaux importants. De Montaran propose alors d’héberger gracieusement les Indiens dans son château de Thieux. Ces derniers s’installent dans la 1ère semaine d’octobre et le registre de comptabilité est paraphé par De Montaran le 10 octobre 1785. La direction de la Manufacture est confiée d’abord à Monsieur De Villechaise, puis à partir du 1er février 1786 à Monsieur Fourcade qui sera en poste jusqu’à la fin de l’expérience des Indiens. Une question est restée toujours en suspens : à savoir le nombre exact d’Indiens. Le Bailli de Suffren parle dans son mémoire au Roi, de 54 Indiens soit 16 hommes, 38 femmes. Les enfants ne sont pas évoqués. Or, à leur arrivée à Marseille le 3 août 1785, ils sont 52. Il est admis, en fonction de différents documents qu’il y avait bien 16 hommes, et 36 femmes à Marseille, 2 femmes sont restées à Malte.

Un tisserand indien
Un tisserand indien en pleine filature

Sur le livre de comptabilité, en octobre 1785, on constate que les gages sont payés à 16 hommes et 30 femmes soit 46 personnes. L’état des gages ne donne pas la liste complète des femmes car 6 femmes ne travaillaient pas. D’autre part, 2 femmes de confession catholique sont décédées et figurent sur le registre de la Paroisse qui ne comporte pas les noms des 4 femmes décédées, de confession hindoue. Dès le mois de décembre 1785, la manufacture, en activité, va recevoir des apprentis pris parmi les jeunes villageois de Thieux. L’industrie des cotonnades prend de l’essor et concerne l’arçonnage du coton à la façon indienne. Mais une réorganisation de l’Administration des Finances et du Commerce, par le règlement royal du 5 juin 1787, va conduire à la mise à la retraite de Monsieur de Montaran.

Une expérience qui tourne court

Le gallion retourne en IndeUn seul fonctionnaire remplace dorénavant les 4 intendants à la direction du commerce, c’est Monsieur de Tolozan, qui remet en question les décisions de Montaran. Celui-ci considère que les résultats obtenus par les Indiens ne sont pas ceux qui étaient prévus : originaires du Sud (Pondichéry) et non du Bengale, ils ne savaient tisser que des toiles d’une grosse filature et pas des tissus plus fins. Par ailleurs, dès le mois de septembre 1786, tous les élèves, à l’exception d’une fillette de 12 ans, quittent la manufacture. Les ouvriers indiens sont souvent malades, certains se rebellent et sont prisonniers dans les caves du château, mais il y a très peu de décès. En moins de 2 ans, le médecin de Juilly va effectuer 243 visites à la colonie de Thieux. Les dépenses d’entretien de la manufacture sont supérieures aux recettes. L’expérience proposée par Suffren va s’achever ; la décision est prise de renvoyer les indiens chez eux. Ils vont quitter Thieux le 1er septembre 1787, pour Orléans et seront embarqués sur la Loire le 5 septembre pour Nantes (arrivée le 13 septembre) où ils resteront 3 mois sous le contrôle de Monsieur Fourcade. Ils seront dirigés le 13 décembre 1787 par bateau sur Lorient où ils arriveront le 24 décembre…

Les comptoirs de l'Inde
Logo des comptoirs de l'IndeQui mieux que les Anciens Comptoirs pouvait servir de trait d'union entre l'Inde et la France ?
A travers les Anciens Comptoirs, l'Inde fait également partie du patrimoine culturel français. C'est ainsi que les anciens du collège français de Pondichéry et quelques métropolitains ont créé le 18 mai 1992 l'association Les comptoirs de l'Inde qui vous propose :
- Une introduction à l'Inde française et aux cultures régionales de l'Inde
- Un lieu d'information et de documentation consacré à l'Inde et aux Comptoirs
- Un organe de promotion de la francophonie dans les anciens comptoirs
- Un lieu de convivialité ouvert à tous les amis de l'Inde et des comptoirs

On pense que les Indiens quittent Lorient pour les Indes le 4 janvier 1788 date du départ pour Paris de Monsieur Fourcade. Après leur retour à Pondichéry en juillet 1788, un chroniqueur tamoul racontera l’expérience des Indiens de Thieux (Chronique de Vinaiker). Si l’expérience tentée par le Bailli de Suffren s’est achevé rapidement, il convient cependant de noter que celle-ci était louable car il s’agissait de développer et de perfectionner l’industrie cotonnière qui était encore à ses débuts en France.

Douglas Gressieux
Les Comptoirs de l'Inde